Mauritanie : Un journaliste emprisonné pendant 48 heures suite à la plainte d’une ministre

Le rédacteur en chef d’AlHoora, Abdellahi Mohamed Ould Atigha été arrêté le 24 avril, suite à une plainte pour diffamation déposée contre lui par la Ministre des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille, Naha Mint Haroun Cheikh Sidiya.

Après 48 heures de détention dans le commissariat de police de Boutilimitt (ville située à 150 km au sud-est de la capitale Nouakchott, dans la région du Trarza), Abdellahi Mohamed Ould Atigh a été libéré le lundi 26 avril 2021 suite à une médiation du Syndicat des Journalistes mauritaniens et certaines notabilités traditionnelles. Il a pu retrouver ses proches qui avaient campé aux abords du commissariat de police depuis son interpellation.

Les faits datent d’il y a un mois. Sur sa page Facebook, Abdellahi Mohamed Ould Atigh s’était interrogé sur la gestion du fonds étatique destiné à secourir les populations démunies éprouvées par le Covid-19 en ces termes : ” Où sont passés les un milliard deux cent quatre-vingt dix millions d’ouguiyas du Ministère des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille destinés aux pauvres ?”

Cette publication n’aurait pas plu à la jeune ministre. Dans un premier temps, suite à des tractations menées à travers des proches, le contentieux avait été réglé à l’amiable. Les deux parties avait trouvé un terrain d’entente. Quelle ne fut la surprise de Ould Atigh d’être appréhendé par les forces de sécurité !

Approché, Ould Atigh continue de s’interroger sur ce qui est arrivé.

‘’Je me pose une question et je vais toujours continuer à me la poser. Pourquoi j’ai été arrêté ? Quel est l’objet de cette plainte ?  Si c’est par rapport à cette interrogation que je me suis posée, ce n’est pas sérieux et ce n’est pas démocratique.  J’ai simplement posé la question comme beaucoup de gens d’ailleurs qui cherchent à savoir où est passé ce montant’’.

Amadou Seck, journaliste au ‘’Le Calame’’ et correspondant de médias étrangers affiche sa consternation : ‘’Je suis étonné que sur la base d’une simple interrogation que Ould Atigh soit arrêté suite à une plainte. Il fallait lui permettre au journaliste de prouver ce qu’il affirme par une citation directe. Ce genre de circonstances devrait être accordé à tout journaliste poursuivi pour diffamation. Dans un contexte de libertés d’expression, les condamnations en matière de diffamation devraient être symboliques ou à des peines légères. Par principe, je suis contre le fait que des journalistes profitent de leur statut pour s’attaquer à des personnalités ou à des institutions’’.

Sur la toile, ses collègues se sont fortement mobilisés en appelant à sa libération immédiate après avoir largement partagé son poste qui est devenu viral. Des personnalités de la société civile ont relayé les différents appels à la préservation de la liberté d’expression, à travers une dépénalisation des délits de presse et se sont élevés contre les arrestations et détentions des journalistes.

Ould Atigh a eu plus de chance que son confrère Mohamed Salem Kerboub, journaliste au site d’informations www.mauritannet.blogspot.com emprisonné depuis le  7 Janvier 2021, à Nouadhibou, suite à la plainte du député-maire de la ville, Ghassem Ould Bellali.

Mesurant l’élan de sympathie et remerciant le soutien de ses confrères et des différentes personnalités, Ould Atigh dit rester serein. Il déplore néanmoins la dégradation de la liberté de presse ; ’’D’une façon générale, la situation devient de plus en plus catastrophique. On n’ose plus s’exprimer librement et critiquer. C’est désolant »

Abondant dans le même sens, Seck déplore la recrudescence des interpellations de journalistes dans un contexte de liberté d’expression ‘’Ces derniers temps, des journalistes sont arrêtés et poursuivis, pour diverses raisons. L’image de la Mauritanie s’en trouve écornée. Pourtant, les personnes qui s’estiment être diffamées ont l’opportunité de faire prévaloir différents procédés : démentis ou droits de réponse sans faire recours à des plaintes’’.

La Fondation des médias pour l’Afrique de l’ouest s’inquiète des arrestations et condamnations de journalistes qui prennent des proportions de plus en plus inquiétantes en Mauritanie, en dépit des bonnes intentions déclarées du régime du président Ould Ghazouani.

Nous appelons les autorités mauritanniennes à respecter leur engagement de promotion et de protection des journalistes et de la liberté de la presse. En effet, recevant le président et les membres de la commission nationale de réforme de la presse, en juillet 2020, le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani avait précisé que ‘’les médias sont l’incarnation de la liberté d’expression qui est un droit naturel inscrit dans toutes les constitutions. Il avait ajouté que la ‘’consolidation et la préservation de la liberté d’expression, qui figurent parmi ses principaux engagements, sont un choix stratégique de l’État’’.

Mais depuis, les bonnes intentions présidentielles tardent à se traduire concrètement en actes. Bien au contraire, tout semble revenir à la case départ.

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